En juin dernier, alors qu’AirBnb venait d’annoncer la perte de 4,6 milliards de dollars en 2020, nous concluions notre article Covid, un coup de sifflet pour AirBnb. Et après ? : « n’ayant aucun doute sur l’instinct de prédation de Airbnb et constatant les stratégies déjà amorcées avant 2020, on peut redouter une poursuite d’attaque du marché encore plus frontale »
Un an après son entrée à Wall Street, AirBnb est devenue la première entreprise mondiale du tourisme par sa capitalisation boursière. La France constitue le deuxième marché de cette plateforme avec 300 000 logements dont plus de 65 000 à Paris.
Pourquoi AirBnb est-il un acteur économique nuisible ? Comment les grandes métropoles ont-elles réagi ? Quel est le niveau de développement actuel d’AirBnb ? Pourquoi AirBnb constitue-t-il une menace pour les hôtels de zones rurales ?
On le sait, le développement par AirBnb de l’offre prioritairement ciblé sur la petite surface, contribue à raréfier le stock sur le marché du locatif et donc à tirer vers le haut les prix. Les personnes les plus précaires, les familles monoparentales, les saisonniers mais aussi des petits commerces indépendants, sont chassés des centres-villes. Cette gentrification des centres-villes impacte à son tour le marché immobilier des périphéries, voire des zones rurales, reléguant de facto les plus pauvres à la périphérie des périphéries.
Dans ce contexte, nos normes, lois, règlements municipaux, souvent centrés sur la protection du locataire n’aident pas à fluidifier le marché mais encouragent les propriétaires à se détourner du marché locatif. L’Airbnbisation des villes accélère l’exode urbain, participe à la vacance commerciale des métropoles et contribue à renforcer la mono activité observée de plus en plus dans certains quartiers. Selon LSA, « Paris a perdu plus de 54 000 habitants entre 2013 et 2018, voit ses rues prime désertées et atteint un taux de vacance de plus de 11% en 2021 »
Mais AirBnb participe aussi à la dégradation de la qualité de vie provoquant des nuisances dont se plaignent les résidents : tapage nocturne, insultes, incivilités et en résumé troubles de voisinage tant et si bien qu’Airbnb lui-même a réagi : «Nous avons notamment introduit des mesures automatisées, qui permettent d’empêcher dans certaines circonstances, les personnes de moins de 25 ans disposant de moins de trois commentaires positifs, de réserver un logement entier à proximité de leur lieu de résidence»
Enfin AirBnb n’aide pas les hôteliers. Comme nous l’écrivions dans un précédent article, « l’étude de Coach Omnium montre clairement que 22% des clients Airbnb sont également clients d’hôtels et que parmi eux, 14% sont gros utilisateurs d’hôtellerie et 62% vont chez Airbnb en remplacement d’un hôtel. »
Il suffit de se poster dans les rues de Dubrovnik, Barcelone, Venise, Lisbonne, Paris, Bordeaux, ou de Strasbourg et d’observer pour réaliser de façon intuitive que le développement de ce tourisme low-cost atteint rapidement un seuil où le produit marginal dégagé est négatif. Il affaiblit en même temps la collecte de taxes et d’impôts puisque le montant de TVA collecté est négligeable et qu’AirBnb ne paie pratiquement pas d’impôt en France.
Parce que le produit a été détourné de son concept initial, que l’offre s’est industrialisée et que sa commercialisation n’est pas créatrice de valeur pour la société, de tels acteurs ont l’odeur d’une peste qu’il faut curer.
La location d’une résidence principale est limitée à 120 jours par an dans 18 villes de France. Le 15 décembre dernier, Paris, première implantation mondiale pour Airbnb, a durci la procédure de transformation des logements.
La ville de Saint Malo a mis en place l’une des réglementations les plus dures de France pour encadrer les locations de courte durée, avec l’instauration de quotas de meublés touristiques par quartier, la limitation à une seule demande par propriétaire ou l’impossibilité pour les SCI et personnes morales de louer des appartements via les plateformes de type Airbnb et Abritel.
« De New York à Saint-Malo, les restrictions visant les meublés de tourisme ont proliféré en 2021, freinant l’ascension du géant Airbnb » ai-je pu lire. En est-on sûr ?
Nous ne cessons de répéter que l’analyse de l’évolution des comportements est la clé de lecture pour déployer une stratégie pertinente. Nous ne cessons de dire que « ceux qui feront comme avant prendront de sérieux risques ».
C’est sans surprise que nous constatons qu’Airbnb a rebondi. La pandémie a développé le télétravail et de nombreux salariés ou indépendants qui exercent leur activité à distance en ont profité pour travailler ailleurs que chez eux. Airbnb a augmenté d’environ 15 %, les locations de plus de 7 jours qui représentent désormais près de 50% des nuitées réservées. Les séjours ruraux ont représenté 45% des réservations en été 2021, contre 24% durant l’été 2019.
Entre février 2020 et février 2021, l’Australie a perdu autour de 9 % de ses locations répertoriées et le Canada 11 % mais l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, la Chine présentent un nombre de locations en progression. La France se place bien sûr en tête avec une augmentation du nombre d’annonces de l’ordre de 9 %. Le nombre de locations a par exemple nettement augmenté en Bretagne, tandis que celui de Paris reculait de 23%.
Comme nous n’avons cessé de le répéter depuis deux ans, les perspectives de développement à moyens termes se situent davantage du côté des zones rurales que de celui des grandes métropoles. AinrBnb l’a bien compris. Ce sont maintenant les hôtels de zones rurales qui vont devoir jouer avec une concurrence plus menaçante d’AirBnb.
Même si les impacts économiques induits par l’’AirBnbisation dans les zones rurales risquent de ne pas être les mêmes que ceux dans les plus grandes agglomérations, il est frappant de constater que les élus de nos cités fassent fi d’une réalité pourtant simple à comprendre et aient encore la naïveté de considérer AirBnb comme un partenaire envisageable pour servir les intérêts de leur petit périmètre. C’est cette même posture qui a conduit bon nombre de maires et d’organes administratifs à aider l’installation d’entrepôts Amazon dont on sait que chaque emploi qui y sont créés contribue à en détruire deux.
En avril dernier, Airbnb a annoncé la signature d’un nouveau partenariat avec l’association des maires de France, destiné à développer « 15000 hébergements touristiques de qualité » dans les zones rurales d’ici à la fin de 2021.
La promotion d’AirBnb par Fabrice Dallongeville, maire d’Auger-Saint-Vincent, et l’AMRF est pathétique. « Cette initiative va servir d’exemple pour les maires des 640 autres villages de l’Oise », estime-t-il.
L’objet de cet article n’est pas de critiquer un acteur économique qui a démontré une réussite tout à fait exemplaire. Nous ne nous plaçons pas ici dans une posture de Don Quichotte qui consisterait à nier l’évolution de notre société mais au contraire à porter un regard attentif.
Les questions que je pose aux hôteliers de région et de zones rurales sont les suivantes :
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